Les règles dans le monde : l’Afrique

par Virginie

Avoir ses règles : quel phénomène féminin plus naturel que celui-ci ? De la ménarche, c’est-à-dire le moment des premières menstruations, à la ménopause, 40 ans en moyenne s’écoulent, rythmés chaque mois par quelques jours de perte de sang.

Partout dans le monde, les femmes connaissent cette réalité mais au cœur du 21ème siècle, les inégalités concernant les règles sont encore criantes. Alors qu’en Europe les mentalités commencent doucement à changer et que le sang se colore enfin de rouge dans nos publicités, qu’en est-il sur le continent africain ?

Connaître son corps, avoir accès aux serviettes hygiéniques et tampons périodiques, prendre soin de sa santé et de son hygiène sont indispensables pour vivre sereinement la période délicate des règles. Mais entre précarité menstruelle et tabou culturel, que signifie réellement avoir ses règles en Afrique ? Quelles sont les difficultés auxquelles les filles et femmes du Cameroun, du Kenya ou encore du Togo sont confrontées durant leur cycle menstruel ?

Avoir ses règles en Afrique, un tabou social

Que ce soit par ignorance ou par honte, en Afrique, les règles sont un sujet tabou. Pas question d'évoquer ses saignements devant tout le monde ! Dans les familles africaines comme dans certains autres endroits du globe, la parole n’est pas libre à propos de cette réalité féminine. Parfois même, comme au Malawi, les jeunes femmes découvrent l’existence des menstruations le jour où celles-ci se présentent pour la première fois. Les explications qui suivent sont données par une tante, ainsi que quelques rudiments pour apprendre à faire soi-même des protections hygiéniques de fortune.

L’apparition de la puberté est d’ailleurs influencée par plusieurs facteurs, qu’ils soient environnementaux, comme la nourriture ou l’accès aux soins, ou socio-éducatifs. Une étude parue en 2003 dans Endocrine Reviews, une revue médicale anglaise, met en évidence que l’âge des règles en Afrique est plus tardif dans les pays défavorisés du continent.

Une fois les menstrues installées, les quelques informations glanées ça et là par les filles au sujet de leurs saignements sont souvent teintées de coutumes et traditions africaines. Assez éloignées de la réalité, ces dernières nourrissent les peurs et les fantasmes. Dans certaines contrées du continent, le quotidien des femmes pendant la période des menstruations est donc synonyme de honte et d’exclusion. En effet, parmi les croyances qui font du cycle féminin une véritable omerta en Afrique : 

  • Les pertes de sang sont souvent considérées comme sales. Dans certains pays comme le Togo, parfois on ne cuisine pas pendant les règles car la nourriture serait souillée.  
  • Une femme menstruée est considérée comme impure. Certaines sont éloignées de leur foyer et des membres de la famille de sexe masculin. D’autres ne partagent pas leur lit avec leur conjoint durant leurs règles. L'accès aux lieux ou aux textes sacrés n’est par exemple pas autorisé au Bénin.

Ces exclusions ne sont toutefois pas l’apanage des pays d’Afrique : fréquemment liées aux religions, beaucoup existent ailleurs dans le monde. Néanmoins, la situation africaine reste très préoccupante, notamment pour les jeunes filles dont la scolarité est mise en péril à chaque période de règles.

La scolarité des africaines pendant les règles

Les statistiques de l’Unicef sont sans appel : en Afrique, une fillette sur 10 serait déscolarisée pendant sa période de règles. 83% des jeunes filles restant en classe seraient angoissées par une situation qui les dépasse. En cause : les douleurs et spasmes menstruels difficiles à supporter, mais aussi la honte. Associant perte de sang et rapports sexuels, les garçons se moquent souvent des jeunes filles menstruées.

Enfin, le manque de moyens d’hygiène menstruelle dans certaines écoles est également responsable de la déscolarisation pendant les règles. Pas de toilettes ni d’eau courante ? Si quelques fillettes trouvent le courage de rentrer chez elles pour changer de serviette ou se nettoyer, parcourant parfois plusieurs kilomètres, d’autres préfèrent se passer d’école. Un non-choix inacceptable qui creuse les inégalités entre les sexes. 

Pour tenter d’endiguer les impacts de cette déscolarisation, des associations œuvrent contre le tabou des règles. L’ONG Care France, dont le cœur de bataille est de défendre les femmes et enfants au niveau mondial, ne se contente pas de relayer les chiffres. En 2019, c’est une grande campagne de sensibilisation qui a vu le jour sous le hashtag #RespectezNosRegles. Un film diffusé sur les réseaux sociaux montrait une femme âgée, probablement ménopausée, se rendant à l’école à la place de sa petite fille pendant ses règles. Une cause pour laquelle l’organisation continue de combattre et à laquelle chacun peut apporter son soutien.

Des missions éducatives dédiées aux règles sont également mises en place dans les écoles. Au Burkina Faso par exemple, l’Unicef agit en collaboration avec le gouvernement pour instruire les jeunes filles. Au programme de ces séances tenues en l’absence des garçons : informations sur la menstruation, l’hygiène intime et l’éducation sexuelle. Des plaquettes sont distribuées et les fillettes ont la liberté de poser tout type de questions. À l’issue de la «leçon», un questionnaire permet de s’assurer des connaissances acquises sur le fonctionnement de son corps, son flux menstruel, sa santé et sa propreté. 

Ces actions éducatives, indispensables à la disparition d’un tabou, ne sont néanmoins pas les seules à mener.

Lutter contre la précarité menstruelle en Afrique

Dernier fléau auquel les femmes et filles de l’Afrique doivent faire face chaque mois : la précarité menstruelle. Est en cause le prix des serviettes hygiéniques et tampons, rédhibitoire dans ces pays gravement touchés par la pauvreté. Conscients de cette réalité, plusieurs gouvernements africains (Kenya, puis Ouganda, Tanzanie, Rwanda) ont, dès 2004, décidé de supprimer la TVA sur les protections périodiques. Cette mesure fiscale importante et symbolique n’est malheureusement pas suffisante pour permettre à chaque femme d’accéder à ces biens de première nécessité.

Ainsi, la précarité menstruelle donne lieu à des situations intolérables. Au Kenya, l'extrême pauvreté contraint parfois les jeunes filles à monnayer leur corps dès 15 ans, en échange de quelques pièces destinées à l’achat de serviettes hygiéniques. 

Ailleurs, comme au Cameroun, les femmes apprennent à leurs cadettes comment bricoler une protection menstruelle de fortune à partir d’un morceau de vieux vêtement ou de feuilles. Au-delà de l’inefficacité du procédé, qui perpétue la honte de souvent voir ses habits tachés de sang, c’est un fléau sanitaire qui en découle. Le risque d’infections et de maladies est important, plongeant les femmes africaines dans une situation d’autant plus préoccupante.

Des entreprises et associations d’Afrique ont donc choisi d’agir pour que ce phénomène naturel des règles, qui occupe en moyenne 8 ans cumulés de la vie d’une femme, soit considéré et vécu comme tel.

Au Burkina Faso, en 2017, Emilie Kyedrebeogo a créé Palobdé (« qui ne se jette pas »), une petite entreprise qui coud et commercialise des kits de serviettes hygiéniques lavables en coton biologique traditionnel. Composé de 3 serviettes, une pochette imperméable, mais aussi de culottes et savon pour les jeunes écolières, ce pack est peu onéreux, durable et écologique. L’objectif affiché est de favoriser l’hygiène des femmes, en rendant accessibles à toutes des protections périodiques pérennes.

La vision est identique chez Olivia Mvondo, fondatrice de KmerPad en 2011 au Cameroun. Après une longue phase expérimentale et de recherche de fonds, les premières serviettes lavables de KmerPad sont mises en vente en 2014. Une fabrication intégralement camerounaise, de même que la quasi-totalité des matières premières. Au-delà des produits qu’elle conçoit, la société KmerPad anime également des ateliers pour sensibiliser les femmes à leur hygiène menstruelle. 

Enfin et parmi d’autres, l’ONG Empower Ladies menée par Hamdiya Katchirika a pour mission d’échanger avec les filles de villages et lycées du Togo sur leurs règles.

Agir, éduquer et libérer la parole sont les piliers d’une amélioration de la Gestion de l’Hygiène Menstruelle en Afrique, et partout ailleurs où les règles sont encore source de difficultés. 

Le contexte africain n’est d’ailleurs pas unique en son genre. Sur chaque continent, des fillettes, jeunes filles et femmes vivent différemment et parfois difficilement leur cycle. Retrouvez notre série d’articles « Les règles dans le monde » pour vous informer, ouvrir votre esprit et agir aux côtés de Jho

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