Avoir ses règles à Madagascar

June 16, 2020 par Dorothée

Le manque d’eau potable et d’infrastructures d’hygiène, la pauvreté, l’accès limité aux protections hygiéniques, ainsi que certains tabous culturels, mettent des millions de femmes et de jeunes-filles à travers le monde en difficulté au moment de leurs règles. A Madagascar, les protections périodiques à usage unique sont trop chères pour une grande majorité de femmes et difficiles à trouver, notamment en milieu rural, où 80 % de la population réside, dans des conditions difficiles, parfois sans eau disponible à moins de 3 heures de marche.

En ville, dans les petites épiceries de rue, les serviettes hygiéniques jetables se vendent à l’unité, à 400-500 Ar, soit environ 0,10 €/pièce, par paquet de dix en supermarché. Si une femme utilise en moyenne trois serviettes par jour pendant quatre jours, cela lui revient à 1,2 € pour un cycle, une somme loin d’être anodine quand on sait que 77,5 % des Malgaches vivent en dessous du seuil de pauvreté (<1,75 €/jour). Pour une grande majorité donc, les protections hygiéniques à usage unique restent inaccessibles.

Bazoly, 38 ans, vit à Antsirabe, la troisième plus grande ville de Madagascar (330 000 habitants). Elle raconte qu’elle a grandi avec des protections lavables, réalisées avec des tissus de récupération ou de vieilles chamoisines recyclées. Ayant eu « la chance d’aller à l’école, de suivre des études secondaires, d’être la cadette dans une fratrie de quatre sœurs », les règles elle savait « ce que c’était avant même des les avoir eues ». Elle a eu la « chance aussi d’avoir accès à l’eau courante pour sa toilette intime, récoltée dans un seau chez des voisins », l’eau du puits dans le jardin étant réservée à l’alimentation… Et quand ses sœurs ainées ont commencé à travailler, elle a pu adopter avec elles, à l’âge de 17 ans, les protections hygiéniques à usage unique, qu’elle n’a cessé ensuite d’utiliser, « parce que c’est bien plus pratique et fini la hantise des fuites ! »

Bazoly fait partie des privilégiées qui vivent en ville et ont les moyens de s’acheter des protections hygiéniques. A la campagne, « les femmes n’ont pas d’eau courante, elles utilisent l’eau des rivières pour leur toilette et des morceaux de linge en période de règles, elles ne peuvent pas s’offrir des serviettes hygiéniques jetables. Elles utilisent des bouts de tissus de récupération, des draps, des bouts de matelas en mousse et des vêtements usés. Elles en font des carrés qu’elles lavent et réutilisent », explique le Dr Voahangy, médecin généraliste au dispensaire Aïna d’Antsirabe. C’est ce que fait Anja, qui vit à 30 km d’Antsirabe, dans un petit hameau isolé, baigné de rizières, de collines inhabitées et de champs maïs, avec pour seule eau disponible, celle de la rivière qui coule à 500 mètres en contre-bas. C’est dans cette rivière qu’elle peut faire sa toilette et laver son linge, y compris les bouts de tissus usés qui lui servent de serviettes hygiéniques.

Mais à Madagascar, toutes ne sont pas logées à la même enseigne. Sur 26 millions d’habitants, 8 millions de personnes ne peuvent déjà pas se laver les mains à la maison avec de l’eau et du savon et une personne sur deux bénéficie d’un point d’eau amélioré à moins de 30 minutes à pied aller-retour. Dans certaines régions, les femmes parcourent même plus de 20 km pour puiser de l‘eau dans une rivière. Celle-ci est livrée au chef de famille et réservée en priorité pour boire et cuire les aliments, certainement pas pour l’hygiène personnelle, même en période de règles. Ce serait considéré comme un gaspillage. Une eau qui peut aussi être insalubre et responsable de différentes maladies. Les femmes, dans ces conditions, ne peuvent donc pas avoir une hygiène intime adaptée. Elles se retrouvent obligées d’utiliser des eaux stagnantes, parfois du sable, pour pouvoir se nettoyer. Beaucoup de femmes utilisent de la boue séchée, des feuilles, ou des morceaux de tissus usés pour se confectionner leurs protections, en ignorant totalement les risques d’infection auxquels elles s’exposent.

« Parce que l’accès à l’eau est un problème dans certaines régions, que l’hygiène corporelle, de surcroit intime, ne sont en conséquence optimales, les femmes sont sujettes à des infections à répétition, leucorrhées malodorantes, etc., qu’elles n’ont pas les moyens de soigner non plus », détaille le Dr Vohangy.

« Au niveau médical, quand elles le peuvent, je conseille toujours à mes patientes de faire bouillir l’eau pendant au moins 20 minutes pour la toilette intime et de laisser refroidir avant emploi. Idem si c’est de l’eau du robinet pour que le chlore s’évapore. En ville, ce ne sont pas tant les bactéries ou les parasites qui peuvent être présentes dans les eaux de rivières, mais un excès de chlore et autres produits chimiques qui peuvent nuire à la flore intime et entraînent des candidoses », précise le Dr Vohangy, à titre de comparaison.

« Je rencontre deux catégories de femmes. Les femmes qui sont trop propres et qui font leur toilette intime trois fois par jour, qui se lavent même l’intérieur du vagin avec les doigts. C’est très difficile de les convaincre de ne pas faire cela. Ces femmes qui ont cette manie souffrent souvent de sécheresse vaginale. Et puis il y a celles qui ne font pas bouillir une eau qui n’est pas saine, et qui vont développer des infections ».

En malgache, le mot « règle » se dit « fadimbolana », ce qui signifie littéralement « le tabou du mois ». Pour le Dr Voahangy, il s’agit moins d’un tabou que d’un « non- sujet », c’est-à-dire « quelque chose dont on ne parle pas et qu’on ne montre pas ». Ce serait plutôt comme « un savoir-vivre, cela ne s’étale pas à la vue de tout le monde… C’est de la pudeur, quelque chose qui reste entre femmes, de l’ordre de l’intimité ». Si les règles sont considérées comme naturelles, il n’est pas rare dans certains milieux que les jeunes-femmes en période de menstruation soien considérées comme sales. Et le manque d’accès aux protections hygiéniques amplifie le sentiment de honte.

C’est dans ce contexte que l’ONG Care-Madagascar intervient avec son projet « RANO WASH ». Il s’agit d’un programme de développement visant, entre autres, à améliorer l’accessibilité des femmes rurales en matière d’hygiène menstruelle. L’un des volets de ce programme vise aujourd’hui une centaine de femme, repérées dans plusieurs régions du pays, qui ont été formées à la couture et à l’entreprenariat. Elles sont devenues autonomes dans la confection, la production et la vente de serviettes hygiéniques lavables en coton, baptisées « Ecolottes ». Le but est également de sensibiliser à l’hygiène menstruelle et de changer les mentalités au sein des foyers afin de protéger la santé des femmes.

Face au coût des protections à usage unique, les serviettes hygiéniques lavables offrent ainsi une solution économique et durable que l’ONG souhaite développer. A condition bien sûr d’avoir de l’eau à disposition pour le lavage. Permettre aux plus pauvres d'accéder à l'eau potable, l'assainissement et l'éducation à l'hygiène reste une priorité là où seulement 12% de la population malgache utilisent des structures d’assainissement de base et 24 % seulement ont accès à l’eau potable.

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